Hacking de l'Aigle de Bonelli en Navarre :

Le « Programme de renforcement de la population d'Aigle de Bonelli (Aquila fasciata) », développé en Navarre dans le cadre du Plan de Récupération (Décret Floral 15/1996) et comme Action C.4 du Projet LIFE-Bonelli (LIFE12NAT/ES/0701), cherche à renforcer la population actuelle d'Aigle de Bonelli en Navarre au moyen de l'introduction dans la nature d'aiglons en vol élevés en captivité (GREFA et UFCS) et libérés grâce à la technique du « hacking » ou « élevage champêtre » (Sherrod 1980) sur des territoires récemment abandonnés par l'espèce ; certains de ces territoires ont été déclarés ZPS.

 
Cet extraordinaire effort est destiné à équilibrer le bilan démographique régional de l'espèce grâce à l'augmentation artificielle du taux de natalité et de recrutement, tout en encourageant l'attraction que les jeunes établis sur d'anciens territoires pourraient ressentir à l'égard d'autres individus de la population flottante d'Aigle de Bonelli.

La zone d'introduction sélectionnée en 2014 (ZPS de Caparreta) est un territoire historique d'Aigle de Bonelli, visitée occasionnellement par des individus sous-adultes et adultes et qui conserve encore plusieurs nids abandonnés par l'ancien couple. De plus, la zone présente des conditions environnementales optimales, elle est sans risque (pas d'installations électriques dangereuses, de parcs éoliens, de prédateurs ailés, etc.) et c'est un territoire très abondant en nourriture, spécialement en oiseaux, qui font leur nid dans les forêts sclérophylles, les fourrés méditerranéens et les pinèdes de Pin d'Alep de la sierra de San Pedro. En 2011 et 2012, quatre individus d'Aigle de Bonelli élevés en captivité avaient déjà été introduits à Gallipienzo avec succès (Fernández y Azkona 2012), dont une, « Helena », déjà sous-adulte, s'est établie cette saison sur le territoire du hacking.

Actions préparatoires :

Préalablement à l'introduction des aiglons, certains travaux préparatoires ont été effectués : un ancien nid (Nid B) a été renforcé au moyen d'une structure métallique, le tube d'alimentation du nid a été réinstallé et un nouveau poste de surveillance pour diriger le processus de hacking a été construit.

Aux environs du nid, des mangeoires élevées (C1 et C2) ont aussi été construites pour alimenter les aiglons quand ils seront en vol, sans que la nourriture ne soit volée par les carnivores opportunistes, et des appareils-photo pièges ont été installées de chaque côté.

Introduction des aiglons :

En 2014 trois aiglons d'Aigle de Bonelli ont été introduits, originaires d'Albacete (« Iñar » et « Txara »),et d'Almeria (« Filabres »), fournis par GREFA et retirés de nids touchés par la trichomonose.

Les trois aiglons, un mâle («  Iñar ») et deux femelles («  Txara » et « Filabres »), ont été introduits dans le nid du hacking le 13 mai, lorsque selon leur biométrie, ils avaient respectivement 53, 51 et 45 jours.

Avant d'être installés dans le nid, les aiglons ont été mesurés, pesés et marqués avec des bagues métalliques conventionnelles du MMA et des bagues de PVC de l'EBD-CSIC. Pour favoriser leur reconnaissance visuelle à distance, les bagues de lecture à distance ont été placées à différents endroits : Iñar (55H) dans la patte droite et Txara (55L) et Filabres (5A0) dans le tarse gauche.

De plus, les aiglons ont été radio-équipés :  Iñar et Txara avec des émetteurs par satellite GPS/ Solaire Argos ( PTT-100-45 gr de Microwave) pourvus d'un émetteur terrestre UHF interne (GT) qui s'active en cas de perte ou de mort ; et Filabres avec un émetteur GPS/Solaire GSM ( Saker-3 d'Ecotone). Les PTT ont été installés dans le dos des aiglons grâce à des harnais de type sac-à-dos confectionnés avec une bande de téflon tubulaire (0.55') et cousus au niveau de la zone distale du sternum avec quatre points de suture (Beske 1978).

Séjour dans le nid :

Pendant leur séjour dans le nid, les aiglons ont été alimentés quotidiennement avec 6-8 cailles, déposées dans le nid à travers le tube. Un contrôle permanent de l'activité des aiglons dans le nid a de plus été réalisé, pour vérifier si les trois aiglons mangeaient, s'ils ne s'agressaient pas et si la quantité de proies apportée était suffisante sans s'accumuler dans le nid. Pendant cette période, le développement neuromoteur des aiglons ainsi que leur comportement a aussi été contrôlé.

Pendant leur séjour dans le nid aucun des aiglons ne s'est accaparé de nourriture, aucune agression n'a été observée, il n'a pas non plus été observé d'aiglon marginalisé ni malade : ils ont mangé et ont déféqué régulièrement, ont marché dans le nid avec confiance, ont somnolé sur le sol ou se sont protégés de la pluie. Ils se sont d'abord tenus sur les tarses, puis sur les deux pattes et finalement sur un seul tarse, et depuis leur introduction dans le nid ils ont fait des exercices de musculation en battant des ailes. Les mouvements de musculation se sont intensifiés pendant la dernière semaine du séjour et particulièrement lors des jours les plus frais avec un peu de vent. Leur comportement neuromoteur a semblé normal.

Premiers vols :

Iñar a volé le 21 mai, quand il avait 61 jours et après être resté seulement 8 jours dans le nid, tandis que Txara a volé cinq jours après (26/5/14) à l'âge de 63 jours et après 12 jours passés dans le nid. Enfin, Filabres a volé à l'aube du 3 juin, à l'âge de 66 jours et après être restée 21 jours dans le nid du hacking.

Suite à son premier vol, Iñar est revenu au nid pour manger au moins 3 fois. Le 2° jour de vol (22/5/14) il a été observé posé sur le bord de la plateforme avec Txara et Filabres, tandis que le 23 il a quitté le nid et n'est pas revenu avant le 25/5/14, quand il a été observé en train de traverser le ravin. Finalement, le 28/5/14, après 8 jours de vol, Iñar a été observé en train de manger dans le nid. Pendant les premiers jours de vol, il a été vu presque tous les jours.

Pour sa part, Txara a abandonné le nid le 26 mai, quand elle avait 63 jours et même si le 27 on l'a entendue piailler dans la pinède, à aucun moment elle n'a pu être observée.
Enfin, Filabres a volé à l'aube du 3 juin à l'âge de 66 jours. Elle a été détectée dans le nid le 2 juin et observée posée sur l'autre versant le matin du 3 juin. Filabres n'est pas revenue au nid depuis son premier vol et elle a été observée allant et venant et faisant de petits vols.jusqu'à ce qu'elle s'établisse dans la nouvelle zone d'alimentation à  Peñas Altas.

Mort de Iñar et de Txara:

Txara (55L) est morte le 28/5/14, deux jours après avoir quitté le nid et à l'âge de 64 jours. Elle n'avait pas été observée depuis qu'elle avait quitté le nid. Les localisations GPS fournies par l'émetteur la situaient en train de se mouvoir dans le pinar au-dessus du nid, jamais à plus de 150 mètres.

Quand on a trouvé le cadavre, il était mouillé et il gisait sur du matériel de défrichage, à environ 80 km au nord du nid, allongé sur le ventre et avec les ailes à moitié ouvertes. Il manquait la tête. Le plumage était intact et il n'y avait pas de plumes aux alentours. Son émetteur était séparé mais collé au corps, avec le harnais cassé, apparemment par morsure, et deux points de rupture irrégulière au niveau des cordes ventrales. La nécropsie ultérieure a révélé que Txara était morte d'un traumatisme, probablement la prédation d'un canidé de taille moyenne.

Quant à Iñar (55H), il est mort le 30/5/14, deux jours après sa sœur, et après 9 jours de vol. Il avait déjà été observé en train de manger dans le nid et dans la console à côté du nid (R). Le cadavre de  Iñar a été retrouvé le 1/6/14 coupé en morceaux. Les ailes et le système scapulaire, comprenant la partie du bréchet et tous les os des ailes, étaient en train d'être arrachés par un chien sauvage. Le cadavre se trouvait à 420 m du nid, dans les environs de Río Aragón,, près de la route de Gallipienza à Cáseda et dans la limite septentrionale de la pinède de pins d'Alep de la ZPS de Caparreta.

Le mauvais état du corps a rendu impossible la réalisation d'une nécropsie qui aurait pu apporter des précisions sur la cause de la mort.

Survie et établissement de Filabres :

Le troisième aiglon introduit cette saison(« Filabres ») a réussi à survivre jusqu'à atteindre la période d' « émancipation » (> 90 jours de vol). Pendant son séjour sur le territoire du hacking, des apports quotidiens de proies (entre 300 et 800 gr./jours) ont été réalisés. La nourriture a toujours été déposée le matin, dans les mangeoires, en quantités préfixées, et contrôlée à distance.

Le type et la quantité de nourriture a varié pendant toute la durée du processus de hacking. On a commencé à lui mettre des cailles ouvertes dans la console proche du nid (R) et dans les mangeoires élevées préfabriquées (C1 et C2), sans parvenir à ce que Filabres mange aucune proie. Pendant les 7 premiers jours de vol, elle n'a mangé aucune des proies apportées et a probablement survécu car elle avait déjà mangé en abondance et avait le jabot plein au moment de quitté le nid.
A partir du 8° jour de vol et face au manque d'utilisation des mangeoires préparées (C1 et C2), on a décidé de la nourrir à Peñas Altas (SP). Filabres a commencé à utiliser la mangeoire de Peñas Altas le jour même (10/6/14) et elle l'a fréquenté de manière ininterrompue tout au long du premier mois de vol.

Pendant tout le mois de juin on a détecté dans la mangeoire de Peñas Altas (SP) d'importantes interférences avec des renards et d'autres charognards. C'est pourquoi au début du mois de juillet, après 30 jours de vol, on a transféré la nourriture dans un endroit plus tranquille et on a commencé à la nourrir au niveau du rocher del Taconero (T1) ; c'est un rocher dominant qui était très fréquenté il y a quelques années par le couple d'adultes territorial. Une fois Filabres établie sur le rocher del Taconero (T1) on a construit une nouvelle mangeoire élevée. Cette mangeoire mobile placée sur le rocher Taconero (T2) a été en définitive l'endroit où Filabres s'est installée et où elle s'est nourrie pendant le reste de la période de hacking que couvre ce rapport.

Les changements entre les différents points d'alimentation se sont toujours faits lentement, en déposant simultanément la nourriture dans différentes mangeoires et en contrôlant, sur la base du monitorage visuel et grâce aux photos-piège, le rythme des apports ainsi que la quantité et le type de nourriture utilisée.

Alimentation avec des proies vivantes et apprentissage de la chasse :

La nourriture à base de proies vivantes n'a commencé qu'à partir du premier mois de vol. Les observateurs sont restés particulièrement attentifs aux pigeons, pour surveiller le comportement de l'aiglon avec les proies vivantes et veiller à ce que les pigeons ne souffrent aucun dommage.

Toutes les proies vivantes ont été déposées au rocher del Taconero (T1 et T2). On a déposé 8 pigeons vivants : 5 dans la mangeoire T1 et 3 dans T2. L'un s'est échappé, deux on été consommés par des renards, un autre a disparu (probablement attrapé par un rapace quand le brouillard cachait la mangeoire) et les 4 autres ont été mangés par les aigles. Tous les pigeons vivants ont été capturés et tués par Helena, même si après Filabres en a mangé partiellement deux.

La présence de la sous-adulte Helena a empêché Filabres d'apprendre à chasser et à tuer les proies vivantes déposées dans les mangeoires. En contrepartie, Helena a joué le rôle de « nourrice » de Filabres pendant tout le mois d'août. La jeune, qui ne s'est pas séparé de Helena pendant tout le mois, l'a accompagnée lors de la chasse (« chasse en tandem ») et cette dernière a partagé avec elle les proies chassées. La présence de Helena a interféré dans le déroulement du programme de nourriture à base de proies vivantes mais elle a naturellement participé à l'apprentissage de la chasse  de Filabres. Par ailleurs, Filabres a été observée en train de chasser avec succès pour la première fois le 23/6/14, après seulement 21 jours de vol, en capturant un mammifère arboricole dans un petit chêne de la Muga.

Sédimentation de Helena sur le territoire du hacking :

Pendant le déroulement du programme de hacking, Helena, l'Aigle de Bonelli sous-adulte qui a été introduite à Gallipienzo en 2012, s'est établie sur le territoire et a cohabité avec Filabres durant tout le mois d'août.

A partir du 28/7/14 et tout au long des 45 jours de cohabitation, la femelle sous-adulte a agit comme « nourrice » de Filabres, ce qui leur a permis de devenir très complices : voler et se poser ensemble, partager les aliments dans la mangeoire, dormir sur les mêmes perchoirs, faire des vols acrobatiques, jouer et défendre le territoire face aux Aigles Royaux intrusifs, chasser en tandem, etc. Depuis le premier jour Filabres la suivait en volant, se posait à côté d'elle et lui demandait de la nourriture, et Helena lui permettait même d'accéder aux proies qu'elle était en train de consommer.

Évolution des aptitudes de vol :

Pendant les 10 premiers jours de vol (Dv) Filabres est restée à moins de 500 m du nid du hacking, en remontant lentement de Caparreta à Peñas Altas,  parcourant quelques distances en marchant, faisant des vols linéaires en planant ou en battant des ailes, ainsi que des atterrissages maladroits. A partir d'une semaine de vol Filabres s'est centrée sur Peñas Altas, en visitant de temps en temps la mangeoire installée, en réalisant de petits vols entres les rochers et la chênaie et en découchant dans la pinède en-dessous des falaises.
 
Après 10 jours de vol, elle a été vue en train de poursuivre des vautours en vol, de manière encore très maladroite. Jusqu'à 20 jours de vol, une grande évolution des aptitudes de vol de Filabres a été constatée, et le 21 elle a été observée en train de réaliser les premiers piqués et des vols d'une certaine habileté. Les jeux comme « toucher la cime des arbres » ont été observés pour la première fois quand Filabres avait déjà 39 jours de vol. Au bout de 52 jours de vol, elle a été vue en train « d'attraper des branches en vol » pour se les passer « des pattes au bec » et ce même jour elle a « défendu le territoire » face à un Aigle Botté. Après 55 jours de vol elle réalisait avec adresse les jeux d'apprentissage en attrapant des branches en vol pour les laisser tomber et les rattraper dans l'air. La sous-adulte Helena a même joué à certains de ces jeux. Au bout de 71 jours de vol, Filabres et Helena ont été vues en train de pratiquer la « collision de serres » en vol.

Utilisation du territoire du hacking :

Pendant le premier mois de vol (juin) les localisations de Filabres se sont concentrées à moins de 800 m du nid, avec un MPC accumulé de seulement 356 Ha. Pendant cette période, tant les localisation GSM que les observations se sont concentrées à Peñas Altas et dans les pinèdes et chênaies situées sous Peñas Altas, assidûment utilisées par Filabres pour dormir et comme perchoir pour consommer les proies apportées.

Tout au long du mois de juillet, Filabres a largement amplifié son champs d'action, en déplaçant le noyau majeur de son activité vers l'est jusqu'à se centraliser au Portillo de Jarés. Elle a bien sûr continué à fréquenter Peñas Altas, où elle s'est alimentée régulièrement, mais elle a développé une grande prédilection pour les conglomérats et la chênaie-rouvraie de l'Ombrie de San Pedro (Portillo de Jarés et Chaparral de Cáseda) ainsi que pour les ravins ensoleillés (Bcos. de Engubelea, del Ibón y del Palomar). Le MPC accumulé pendant le mois de juillet a été de 22'5 km2. Pendant cette période, Filabres a réalisé un unique « vol d'exploration » qui l'a menée à visiter Aurino Bajo, situé à environ 6,7 km au sud-ouest du lieu du hacking.

Comme pour les campagnes précédentes, cet usage sélectif de l'espace, excentré et plus élevé par rapport à la zone de hacking, semble être conditionné par le degré d'intervention humaine des différentes zones du milieu de la ZPS de Caparreta ; ainsi les aiglons ont tendance à utiliser la Sierra de San Pedro (Peñas Altas, Engubelea, Jarés, Ibón y Palomares, El Chaparral, Bartullo, etc.) pour leur tranquillité et  leur inaccessibilité comme « zone refuge ».

Déplacements pré-dispersifs de Filabres :

Jusqu'à mi-août, il n'y a eu que de faibles déplacements hors de la zone du hacking : à partir de 45 jours de vol Filabres s'est éloignée à 6,7 Km jusqu'à Aurino Bajo mais ce n'est qu'après 61 jours de vol qu'elle s'est éloignée à 9,5 km vers l'est jusqu'au ravin de Barduces, à proximité de  Peña. Dans les deux cas, Filabres a effectué un vol aller et retour de quelques heures, pour revenir découcher sur le territoire du hacking.

Jusqu'à la moitié du mois d'août, Filabres a commencé à réaliser des « déplacements pré-dispersifs », qui l'ont menée à prospecter dans des zones éloignées de plus de 10km de la zone de hacking. Le 14/8/14, après 76 jours de vol, elle est partie jusqu'à Cornialto à Bardenas (à 15,5 km) ; le 19/8/14, après 78 jours de vol, elle s'est déplacée jusqu'à Puerto de Sos (à 14,4 km) ; le 24/8/814, après 83 jours de vol, elles est arrivée jusqu'au Valbaraces (Falces) à 36?6 km de Gallipienzo. Finalement, le 29/8/14, après 85 jours de vol, Filabres a effectué un tour en Navarre en partant à 49,1 km du lieu du hacking, en visitant successivement  Tirapu, Mendigorría, Cárcar, Falces et Pitillas, avant de revenir à Gallipienzo.

L'augmentation de la distance maximale atteinte par Filabres (en km du nid) par rapport à son âge (Dv) a été progressive, la courbe augmentant de manière très similaire à celle d'Helena et de Beragu en 2012 (cf. Fernández y Azkona 2012).

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